Un Dialogue : Vérité et Réconciliation

Publié sur : septembre 29, 2025

Auteur invités : Thérèse Niquay & Michel Duval

Thérèse Niquay est directrice des services et projets communautaires de la communauté atikamekw de Manawan.

Michel Duval est hématologue-oncologue pédiatrique, chercheur en immunothérapie et en partenariat avec les patients et les familles au CHU Sainte-Justine. Michel est co-directeur du Groupe de Mobilisation des Connaissances et membre du Comité de Leadership Senior d’ACCESS.

 

Michel : Thérèse, « Vérité et Réconciliation », je ne sais pas par quel bout prendre ça. Ce n’est pas facile. C’est difficile même simplement de penser à ce qui s’est passé.

Thérèse : Moi, ce que je peux raconter, c’est le témoignage de ce que nous avons vécu.

J’avais six ans la première fois que je suis partie. A cet âge-là, je n’avais pas conscience d’où on m’emmenait. Je voyais les préparatifs de mes grands frères, mes grandes sœurs, qui avaient déjà connu le pensionnat. Nos parents nous préparaient au départ qui se faisait en septembre à chaque année. Moi, j’étais tout emballée de voir que j’avais des nouveaux vêtements, que j’allais partir. Je pensais que j’allais aller m’amuser tout simplement.

Tôt le matin, très très tôt le matin, on nous réveille, on s’habille, on nous amène en canot de l’autre côté de la rivière où on allait prendre l’autobus qui allait nous emmener au pensionnat.  Je voyais l’autobus, j’étais excitée. Je me disais, je m’en vais me promener. Je vais m’amuser.

Mais je voyais d’autres enfants pleurer, surtout un de mes grands frères qui, lui, avait déjà connu le pensionnat, qui pleurait. Je me demandais pourquoi il pleurait alors que moi, j’étais tout excitée de partir. Mais une fois partie, l’autobus est sur des routes forestières, nous n’étions pas rendus à mi-chemin que déjà je m’ennuyais, je pleurais.

Une fois rendue à destination, je me souviens d’avoir souvent demandé à une de mes grandes sœurs combien de fois allons-nous dormir avant de retourner chez nous. J’imagine que le temps a passé, puis la résignation, je ne me souviens plus quand j’ai arrêté de demander quand est-ce qu’on allait retourner chez nous. Mais c’était l’ennui… Je peux dire après un recul de tout ce que j’ai vécu, de tout ce qu’on a vécu pendant ces dix années-là, peu à peu c’est comme la mort dans l’âme, quelque chose s’est éteint à l’intérieur de nous.

La coupure avec les parents, la coupure avec toute la famille, c’est juste des années après que j’ai réalisé à quel point ça nous a marqués. C’était un déracinement. Nous sommes devenues étrangères à nous-mêmes, étrangères à nos parents, à nos familles. À un âge où tu dois savoir d’où tu viens, où tu t’en vas, nous étions comme des enfants déracinés, perdus.

Ça a été long, la quête identitaire pour se retrouver.

Certains sont partis à quatre ans, à cinq ans. Je connais une femme qui avait quatre ans quand elle est partie. Aujourd’hui, elle est vraiment aux prises avec des problèmes de santé, dont la fibromyalgie, le lupus, toujours des problèmes de santé. Moi je relie ça entre autres à des traumatismes. Mais elle est très forte. Elle a toujours des défis à relever. Participer à des expéditions de canots, participer à des actions. Et moi je pense que ça c’est comme une façon de retrouver, dans le fond, toute la force qu’elle a à l’intérieur.

Quand on parle de vérité et de réconciliation, ça demande de prendre conscience de tout l’effort que ça prend pour les personnes qui ont vécu les pensionnats pour guérir et renaître d’eux-mêmes.

Et nos parents qu’on a vus aussi transformés. C’est sur le tard qu’on réalise tout le tort qu’on leur a fait en leur enlevant leurs enfants. C’est toute leur dignité en tant que parents. Ils ont été atteints très profondément. On a vu nos parents sombrer dans l’alcoolisme aussi. Tout en vivant déjà la détresse qu’on vivait, de voir nos parents dans cet état-là, c’était très difficile. Aujourd’hui encore, on porte les séquelles de tout ça. C’est pour ça que c’est encore d’actualité de parler de vérité et de réconciliation.

Parce que toute la vérité n’a pas encore été vraiment saisie et comprise. Pour moi, je trouve que le fait d’échanger, puis le fait de savoir qu’il y a des gens qui veulent savoir, qui veulent comprendre par où nous sommes passés, ça fait partie de notre guérison aussi.

Michel : Comment nous, qui ne sommes pas Atikamekws, pas Autochtones, comment pouvons-nous aider, comment pouvons-nous aller dans la bonne direction avec vous?

Thérèse : Juste le fait d’être ouvert et d’accueillir et de connaître l’histoire des Autochtones, des familles Autochtones. Surtout de reconnaître aussi que, oui, il y a quelque chose qui a été brisé, mais à quelque part aussi, il y a quelque chose qui demeure intact. C’est toute la dimension sacrée en dedans, ces savoirs-là, qui sont en train de ressurgir.

C’est de nous accompagner dans cette résurgence des peuples Autochtones.

Je pense qu’on a intérêt à savoir vraiment la richesse des Autochtones, qu’est-ce qui peut aider à reconstruire le monde. Parce qu’en général, à travers le monde, ça ne va pas.

Parce qu’Il y a encore aujourd’hui une force qu’on doit contrer : ceux qui veulent avoir tout, qui veulent s’approprier tous les pouvoirs pour aliéner d’autres peuples. Et les Premières Nations ont prouvé qu’on peut toujours renaître et reprendre notre place pour construire ensemble un monde meilleur.

Michel : Je crois que c’est possible. Deux par deux ici, deux par deux là, tranquillement. Moi, je suis impressionné, depuis que je vous fréquente, par ce que vous pouvez apporter au reste du monde comme nous, qui avons une vision complètement différente.

Thérèse : Je suis fière aussi de constater qu’il y a des gens des Premières Nations qui œuvrent dans le milieu médical, qui ont différentes professions, que ce soit en soins infirmiers ou en médecine, en chirurgie. C’est toute une fierté, parce que, ayant connu ma grand-mère comme sage-femme et comme femme-médecine, tout le savoir qu’elle avait, je rends hommage à ces gens-là qui ont accédé à des professions médicales, tout en cherchant aussi à s’enraciner dans nos savoirs ancestraux.

Michel : C’est la vérité, la réconciliation et même la collaboration.

Thérèse : Travailler ensemble pour un monde meilleur. J’apprécie vraiment le rapprochement que des personnes comme vous, comme toi, vous faites avec nous, les Premières Nations.

Michel : Tu sais, ça nous apporte beaucoup aussi à nous…. Thérèse, je suis vraiment heureux d’avoir fait ta connaissance.

Thérèse : Moi aussi, j’aime bien tous les gens que je rencontre, parce que c’est d’abord et avant tout les contacts au niveau du cœur, au niveau de l’âme.

Michel : Là, je suis ému, je ne sais plus quoi dire.

Thérèse : Bon, on va faire une bonne route ensemble. Oui, on va faire une bonne route ensemble. Vérité, Réconciliation.