L’effet Poutine au Castor: Le pouvoir du soutien culturel et spirituel
Publié sur : avril 25, 2025
Auteur invité : Michel Duval
Michel Duval est hématologue-oncologue pédiatrique, chercheur en immunothérapie et en partenariat avec les patients et les familles au CHU Sainte-Justine. Michel est co-directeur du Groupe de Mobilisation des Connaissances et membre du Comité de Leadership Senior d’ACCESS.
Je passe la semaine de relâche à Manawan, une communauté atikamekw située à quatre heures de route au nord de Montréal, afin d’explorer les espoirs et les besoins des enfants et des adolescents atteints de cancer. Notre équipe de recherche – moitié Atikamekw, moitié non-Atikamekw – a défini cette semaine nos objectifs de recherche-action participative. Une histoire étonnante que je vous raconterai plus tard.
Entre-temps, je me promène dans le Nitaskinan (le territoire auquel appartiennent les Atikamekw, et non l’inverse comme dans la vision du monde occidentale), guidé par les nouveaux amis de mon chien, joue au bingo de la radio communautaire, partage des éclats de rire autour d’un ragoût d’orignal ou de crêpes bretonnes, observe l’éclipse de lune rouge à travers mon vieux télescope avec les enfants des voisins, tout en me demandant sans cesse où se terminent les vacances et où commence le travail. Finalement, j’ai laissé tomber cette question : une des leçons les plus précieuses que j’ai apprises de mes amis Atikamekw est la mise en pratique de l’art de lâcher prise sur les concepts et les mots qui les désignent : les concepts peuvent être utiles, ils peuvent aussi nous enfermer dans les cases qu’ils créent.
En dépit des longues heures nécessaires pour se rendre d’une des quatre communautés atikamekw à une autre — trois d’entre elles n’ayant aucune couverture de téléphone cellulaire — les nouvelles circulent rapidement au sein de la nation atikamekw grâce à ce que j’appelle le Système d’Information Informel Atikamekw (SIIA). Contrairement aux réseaux d’information occidentaux, le SIIA diffuse les bonnes nouvelles aussi vite et aussi loin que les mauvaises. Mieux encore, vous n’avez pas besoin de vous y connecter. C’est lui qui se connecte à vous et vous transmet, au bon moment, l’information exacte dont vous avez besoin pour comprendre le monde autour de vous.
Ce jour-là, le SIIA m’a appris qu’un patient en oncologie pédiatrique de Sainte-Justine, issu d’une autre communauté atikamekw, avait eu une collecte de cellules en vue de la manufacture de cellules CAR-T. L’objectif était de 10 000, la récolte a été de 25 000, m’a informé le SIIA. En tant que directeur médical du Laboratoire de Thérapie Cellulaire de Sainte-Justine, je peux confirmer que, exprimés en millions de cellules, ces chiffres sont parfaitement exacts.
Ce que je ne savais pas – mais que j’ai appris grâce au SIIA – c’est que, pour l’aider dans le processus et contribuer à une bonne récolte, sa Kokom (grand-mère en langue atikamekw) lui avait préparé une poutine au castor. Marchant dans le paisible, enneigé et dangereux Nitaskinan, je réalise la profondeur du soutien culturel et spirituel issu du Territoire et de la Communauté, incarné dans ces gestes d’amour complexes et puissants: une poutine au castor, une tasse d’herbes médicinales… Un soutien essentiel pour traverser nos procédures stressantes, douloureuses et interminables. Un soutien dont je n’avais même pas conscience.
J’ai donné un nom maintenant à ce soutien culturel et spirituel trop souvent sous-estimé : « l’effet Poutine au Castor ». Je sais que je m’en souviendrai lors de mes tournées cliniques : même si je n’en ai pas conscience, je sais maintenant qu’il est toujours là, pour tous nos patients, Autochtones ou non.
Lecture complémentaire :
Kukum de Michel Jean (2022).
Kukum (grand-mère en innu) est un livre indispensable de Michel Jean, décrivant la vie du peuple Innu, voisin des Atikamekw, jusque dans les années 60. Plus de 300 000 exemplaires vendus : un pont solide entre nos cultures.