Un dialogue sur les connexions

Publié sur : juillet 29, 2025

Auteur invités : Thérèse Niquay & Michel Duval

Thérèse Niquay est directrice des services et projets communautaires de la communauté atikamekw de Manawan.

Michel Duval est hématologue-oncologue pédiatrique, chercheur en immunothérapie et en partenariat avec les patients et les familles au CHU Sainte-Justine. Michel est co-directeur du Groupe de Mobilisation des Connaissances et membre du Comité de Leadership Senior d’ACCESS.

 

Dialoguer avec Thérèse c’est se promener en forêt et ressentir la relation qui unit l’épinette au murmure de la rivière, le murmure de la rivière au miroir du lac, le lac à la présence évidente du castor invisible, la présence du castor au thé du Labrador, le thé du Labrador à la santé humaine et la santé humaine au brame de l’orignal.

Impossible de reproduire sur le papier l’état d’écoute attentive et détendue qu’engendrent ses paroles ses silences, ses rires. Copier-coller ses réflexions pour en faire un texte linéaire destiné à des lecteurs occidentaux, c’est transformer le vol joyeux d’un papillon dans un rayon de soleil d’été en progression pénible et obstinée d’une chenille sur une feuille d’asclépiade.

Il ne reste plus que 10 pour cent de l’effet initial. Puisse ce 10 pour cent donner au lecteur l’envie d’aller à la rencontre du 90 pour cent restant dès qu’il en aura l’occasion. Il y a beaucoup de gens comme Thérèse au Canada.

 

Un dialogue sur les connexions

Le texte suivant est une transcription légèrement modifiée d’une conversation réelle (y compris les mots/expressions spécifiques utilisés).

Michel : Thérèse, ACCESS qui finance notre recherche, nous demande d’écrire quelque chose pour leur Newsletter sur ce que nous avons accompli dans ce projet. Nous n’avons encore rien produit de concret, mais de mon côté, la réussite, c’est d’avoir appris beaucoup de choses. Surtout, j’ai appris combien pour vous la relation est importante. Dans la culture où j’ai été élevé, on met beaucoup l’accent sur les individus : la personne, les droits humains… Je ne dis pas que c’est mal, mais on ne regarde que les individus. Vous, vous voyez la relation entre les individus. Maintenant quand je vois des patients Attikamekw, à la clinique ici, à force de vous connaître, je ne m’adresse plus au patient ou à la maman ou au papa, je m’adresse à tous ensemble, tu vois ?

Thérèse : Oui.

Michel : J’ai été élevé à l’occidentale avec des concepts, et un mot pour chaque concept. Je constate que de ne pas être trop attaché aux mots, aux concepts, avoir une vision un peu plus globale, voir les relations entre les choses et les gens, entre les gens entre eux, entre les gens et leur territoire, ça donne une force et une liberté que je ne connaissais pas. C’est bizarre de dire comme ça, mais la relation ça libère.

Thérèse : La relation, oui, ça nous crée des libertés. Nous parlons de relation, mais c’est une connexion aussi.

Michel : Oui, une connexion. Déjà la réussite pour moi c’est que j’ai appris ça. Après il faudrait que je réussisse à….

Thérèse : …le transmettre.

Michel : …à d’autres. Je vais essayer de copier-coller ça sous forme de dialogue, en raccourcissant pour être accessible à des « Blancs » qui n’ont pas beaucoup de temps. Je vais faire ça dans la semaine et je vais te le montrer.

Thérèse : Nous, on réfléchit très différemment.

Michel : Oui, depuis que je vous fréquente, j’ai l’impression d’avoir ouvert un œil. C’est comme si j’avais marché jusqu’alors avec un seul œil ouvert et d’un coup j’ouvre un autre œil. Je continue à voir aussi les choses par mon ancien œil. Je vois les mêmes choses, mais maintenant elles ont du relief, parce que je commence à être capable de voir les relations entre les choses et les gens sans rester coincé dans ce qui les sépare*.

Thérèse : Ce que j’aime aussi depuis qu’on avance là-dedans, c’est la découverte. C’est comment ton équipe a pris contact avec les gens du milieu, découvert des choses, puis s’est laissée guider par ces choses-là. Ce que j’ai aimé là-dedans, c’est justement d’établir un vrai lien avec les personnes comme ce jeune, qui a fait face à la maladie, au cancer. Vous auriez pu tout simplement faire des suivis pour s’assurer qu’il est sur la bonne voie, mais vous avez cherché à savoir comment il a vécu ça. Ce que j’apprécie beaucoup, c’est qu’il y a une quête là-dedans de savoir, de connaissance, et qui passe par l’établissement de liens significatifs entre le soigné, le soignant, ceux qui sont touchés, sa famille. Notre travail ensemble sur le placenta et le sang de cordon, c’est forme de reconnaissance que ce qui a été utilisé traditionnellement par la médecine autochtone a trouvé d’autres applications dans la médecine occidentale. C’est riche. C’est la rencontre d’autres savoirs. Le but c’est d’aider, c’est l’humanité qui en profite de la rencontre de ces savoirs-là.

Michel : La découverte, pour toi, c’est la même chose que la rencontre, la connexion.

Thérèse : Oui. Et puis j’aime ça rencontrer des personnes qui viennent d’ailleurs, mais qui travaillent aussi dans différents milieux. De partager des savoirs, des connaissances, mais d’être en lien avec les gens d’abord. On revient à la relation sacrée entre chaque personne et avec le Territoire aussi.

Michel : Les relations entre les personnes sont sacrées, c’est ça ?

Thérèse : Oui.

Michel : Et avec le Territoire aussi. C’est fort ça.

Thérèse : Oui c’est fort.

Michel : Le sacré, c’est la connexion entre les personnes et avec le Territoire ». Nous, comme on a tout coupé ça et tout mis dans des petites boîtes séparées, on a perdu le sens du sacré. Voilà que je recommence avec mes concepts… Je ferais mieux de dire à ceux qui vont nous lire : nous sommes tous déjà en relation avec des personnes Autochtones, entretenons, nourrissons cette connexion. Oublions un temps la différence entre relation, connexion, curiosité, ouverture, recherche, découverte, et le sacré.

 

Rencontre

Auteur invité : Michel Duval

Je marche dans le Nitaskinan, le Territoire des Atikamekws. Une motoneige arrive, la première depuis plus d’une heure. Je me tasse pour la laisser passer. Elle s’arrête. Je ne connais pas celui qui la conduit. Nous nous saluons. Il me parle de mon chien, de l’ami de mon chien, et des chiens avec qui l’ami de mon chien se tient habituellement. Puis nous parlons de ceux qui s’occupent de ces chiens. Insensiblement, il se renseigne sur qui je connais dans la communauté. Je réalise que je connais sa mère, son père, une de ses sœurs. Il m’informe que la bonne épaisseur de neige facilite la préparation des érables avant qu’ils commencent à couler. Je lui dis « On est bien ici ». Il me répond  » Oui quand on est dans la nature on trouve son… son… son… », je lui dis « Oui, je ne sais pas quel est le mot pour ça mais je crois que je comprends ce que tu veux dire. »

Après son départ je me demande s’il savait déjà qui j’étais avant que nous parlions. Je souris. La question n’est pas là. En révélant les relations qui nous unissent, il a créé une connexion, qui, dans le contexte du territoire, nous a permis de partager nos sensations sans avoir besoin de mots. Et ça nous a fait du bien.

 

*(Plusieurs personnes qui ont revu ce texte avant publication ont mentionné que la métaphore des deux yeux est utilisée depuis des décennies par des chercheurs Autochtones. Nous la gardons quand même, joyeux qu’elle soit venue spontanément dans un esprit occidental).